vendredi 6 avril 2012

Homélie du Saint-Père Benoit XVI - Messe Crismale

Benoît XVI - Semaine Sainte 2011 ©
Chers amis,

Je vous mets ci-dessous l'homélie prononcée par le Saint-Père Benoit XVI, au cours de la messe chrismale, et durant laquelle il s'est spécialement adressé à ceux qui tout comme lui, renouvelaient les promesses de leur ordination sacerdotale.




Chers frères et sœurs,




En cette messe nos pensées se tournent vers le moment où l’Évêque, par l’imposition des mains et la prière, nous a fait entrer dans le sacerdoce de Jésus Christ, de façon à ce que nous soyons « consacrés dans la vérité » (Jn 17, 19), comme Jésus, dans sa Prière sacerdotale, a demandé pour nous à son Père. Il est lui-même la Vérité. Il nous a consacrés, c’est-à-dire remis pour toujours à Dieu, afin qu’à partir de Dieu et en vue de lui, nous puissions servir les hommes. Mais sommes-nous aussi consacrés dans la réalité de notre vie ? Sommes-nous des hommes qui agissent à partir de Dieu et en communion avec Jésus Christ ? Le Seigneur se tient devant nous avec cette question, et nous nous tenons devant lui. « Voulez-vous vivre toujours plus unis au Seigneur Jésus et chercher à lui ressembler, en renonçant à vous-mêmes, en étant fidèles aux engagements attachés à la charge ministérielle que vous avez reçue avec joie au jour de votre Ordination sacerdotale ? » C’est ainsi qu’après cette homélie, j’interrogerai individuellement chacun de vous et aussi moi-même. Ceci exprime surtout deux choses : ce qui est demandé, c’est un lien intérieur, ou mieux, une configuration au Christ, et en ceci nécessairement un dépassement de nous-mêmes, un renoncement à ce qui est seulement nôtre, à la si vantée autoréalisation. Il est demandé que nous, que moi, je ne revendique pas ma vie pour moi-même, mais que je la mette à la disposition d’un autre – du Christ. Que je ne demande pas : « Qu’est-ce que j’en retire pour moi ? », mais au contraire : « Qu’est-ce moi que je peux donner pour lui et ainsi pour les autres ? » Ou encore plus concrètement : « Comment doit se réaliser cette configuration au Christ - qui ne domine pas, mais sert, ne prend pas, mais donne – comment doit-elle se réaliser dans la situation souvent dramatique de l'Église d’aujourd’hui ? » Récemment, un groupe de prêtres d’un pays européen a publié un appel à la désobéissance, apportant en même temps aussi des exemples concrets de la façon d’exprimer cette désobéissance, qui devrait aller jusqu’à ignorer des décisions définitives du Magistère – par exemple sur la question de l’Ordination des femmes, à propos de laquelle le bienheureux Pape Jean-Paul II a déclaré de manière irrévocable que l’Église, à cet égard, n’a reçu aucune autorisation de la part du Seigneur. La désobéissance est-elle un chemin de renouveau de l’Église ? Nous voulons croire les auteurs de cet appel, quand ils affirment être mus par la sollicitude pour l’Église, être convaincus que l’on doit affronter la lenteur des Institutions par des moyens drastiques pour ouvrir des chemins nouveaux – pour ramener l’Église à la hauteur de l’aujourd’hui. Mais la désobéissance est-elle vraiment un chemin ? Peut-on percevoir en cela quelque chose de la configuration au Christ, qui est la condition nécessaire d’un vrai renouveau, ou non pas plutôt seulement l’élan désespéré pour faire quelque chose, pour transformer l’Église selon nos idées et nos désirs ?

Mais ne simplifions pas trop le problème. Le Christ n’a-t-il pas corrigé les traditions humaines qui menaçaient d’étouffer la parole et la volonté de Dieu ? Oui, il l’a fait, pour réveiller de nouveau l’obéissance à la vraie volonté de Dieu, à sa parole toujours valable. La vraie obéissance lui tenait justement à cœur, contre l’arbitraire de l’homme. Et n’oublions pas qu’il était le Fils, avec l’autorité et la responsabilité singulières de révéler l’authentique volonté de Dieu, pour ouvrir ainsi la route de la parole de Dieu vers le monde des gentils. Et enfin, il a concrétisé son envoi par son obéissance et son humilité jusqu’à la Croix, rendant ainsi sa mission crédible. Non pas ma volonté mais la tienne : c’est cette parole qui révèle le Fils, son humilité et en même temps sa divinité, et qui nous indique la route.

Laissons-nous interroger encore une fois : est-ce que par de telles considérations on en défend pas, en fait, l’immobilisme, le raidissement de la tradition ? Non. Celui qui regarde l’histoire de l’époque postconciliaire, peut reconnaître la dynamique du vrai renouveau, qui a souvent pris des formes inattendues dans des mouvements pleins de vie et qui rend presque tangibles la vivacité inépuisable de la sainte Église, la présence et l’action efficace du Saint Esprit. Et si nous regardons les personnes, dont a jailli et jaillit la fraîcheur de ces fleuves de vie, nous voyons aussi que pour une nouvelle fécondité on a besoin d’être comblés de la joie de la foi, de la radicalité de l’obéissance, de la dynamique de l’espérance et de la force de l’amour.

Chers amis, il reste clair que la configuration au Christ est la condition nécessaire et la base de tout renouveau. Mais la figure du Christ nous apparaît peut-être parfois trop élevée et trop grande, pour pouvoir oser se mesurer à Lui. Le Seigneur le sait. C’est pourquoi, il a pourvu à des « traductions » dans des ordres de grandeur plus accessibles et plus proches de nous. Pour cette raison justement, Paul sans timidité a dit à ses communautés : « Soyez mes imitateurs, mais moi j’appartiens au Christ ». Il était pour ses fidèles une « traduction » du style de vie du Christ, qu’ils pouvaient voir et à laquelle ils pouvaient adhérer. A partir de Paul, tout au long de l’histoire, il y a eu continuellement de telles « traductions » du chemin de Jésus dans des figures historiques vivantes. Nous, les prêtres, nous pouvons penser à une grande foule de saints prêtres qui nous précèdent pour nous indiquer la route, à partir de Polycarpe de Smyrne et d’Ignace d’Antioche, en passant par des grands pasteurs comme Ambroise, Augustin et Grégoire le Grand, jusqu’à Ignace de Loyola, Charles Borromée, Jean-Marie Vianney, jusqu’aux prêtres martyrs du vingtième siècle et enfin jusqu’au Pape Jean-Paul II qui, dans l’action et dans la souffrance, a été pour nous un exemple de configuration au Christ, comme « don et mystère ». Les saints nous indiquent comment fonctionne le renouveau et comment nous pouvons nous mettre à son service. Et ils nous font aussi comprendre que Dieu ne regarde pas aux grands nombres et aux succès extérieurs, mais remporte ses victoires dans l’humble signe du grain de moutarde.

Chers amis, je voudrais encore m’arrêter brièvement à deux mots-clés du renouvellement des promesses sacerdotales, qui devraient nous pousser à réfléchir en ce moment de la vie de l'Église et de notre vie personnelle. Il y a avant tout le souvenir du fait que nous sommes – comme Paul l’exprime – « des intendants des mystères de Dieu » (1 Co 4, 1), et que nous incombe le « ministère de l’enseignement » (munus docendi), qui est une partie de cette intendance des mystères de Dieu, où il nous montre son visage et son cœur, pour se donner lui-même à nous. Au cours de la rencontre des Cardinaux, à l’occasion du récent Consistoire, différents pasteurs ont parlé, sur la base de leur expérience, d’un analphabétisme religieux qui se répand dans notre société si intelligente. Les éléments fondamentaux de la foi, que par le passé tout enfant savait, sont toujours moins connus. Mais pour pouvoir vivre et aimer notre foi, pour pouvoir aimer Dieu et donc devenir capables de l’écouter de façon juste, nous devons savoir ce que Dieu nous a dit : notre raison et notre cœur doivent être touchés par sa parole. L’Année de la foi, le souvenir de l’ouverture du Concile Vatican II, il y a cinquante ans, doivent être pour nous une occasion d’annoncer le message de la foi avec un zèle nouveau et une joie nouvelle. Naturellement, nous le trouvons de manière fondamentale et essentielle dans la Sainte Écriture, que nous ne lirons et méditerons jamais assez. Mais en cela nous faisons tous l’expérience d’avoir besoin d’aide pour la transmettre avec rectitude dans le présent, afin qu’elle touche vraiment notre cœur. Cette aide nous la trouvons en premier lieu dans la parole de l’Église enseignante : les textes du Concile Vatican II et le Catéchisme de l’Église catholique sont les instruments essentiels qui nous indiquent de manière authentique ce que l’Église croit à partir de la Parole de Dieu. Et naturellement aussi tout le trésor des documents que le Pape Jean-Paul II nous a donné et qui est encore loin d’avoir été exploité jusqu’au bout en fait partie.

Toute notre annonce doit se mesurer sur la parole de Jésus Christ : « Mon enseignement n’est pas mien » (Jn 7, 16). Nous n’annonçons pas des théories et des opinions privées, mais la foi de l’Église dont nous sommes des serviteurs. Mais ceci naturellement ne doit pas signifier que je ne soutienne pas cette doctrine de tout mon être et que je ne sois pas ancré solidement en elle. Dans ce contexte, il me vient toujours à l’esprit la parole de saint Augustin : « Qu’est ce qui est aussi mien que moi-même ? Qu’est-ce qui est aussi peu mien que moi-même ? » Je ne m’appartiens pas à moi-même et je deviens moi-même justement par le fait que je vais au-delà de moi-même et que par le dépassement de moi-même je réussis à m’insérer dans le Christ et dans son Corps qui est l’Église. Si nous ne nous annonçons pas nous-mêmes et si intérieurement nous sommes devenus tout un avec Celui qui nous a appelés comme ses messagers de façon à être modelés par la foi et à la vivre, alors notre prédication sera crédible. Je ne fais pas de publicité pour moi-même, mais je me donne moi-même. Le Curé d’Ars n’était pas un savant, un intellectuel, nous le savons. Mais par son annonce il a touché les cœurs des gens, parce que lui- même avait été touché au cœur.

Le dernier mot-clé que je voudrais encore évoquer s’appelle le « zèle pour les âmes » (animarum zelus). C’est une expression démodée qui aujourd’hui n’est presque plus utilisée. Dans certains milieux, le mot âme est même considéré comme un mot interdit, parce que – dit-on – il exprimerait un dualisme entre corps et âme, divisant l’homme à tort. L’homme est certainement une unité, destiné avec son corps et son âme à l’éternité. Mais ceci ne peut signifier que nous n’avons plus une âme, un principe constitutif qui garantit l’unité de l’homme dans sa vie et au-delà de sa mort terrestre. Et naturellement en tant que prêtres nous nous soucions de l’homme tout entier, justement aussi de ses nécessités physiques – des affamés, des malades, des sans-abri. Toutefois, nous ne nous soucions pas seulement du corps, mais aussi des besoins de l’âme de l’homme : des personnes qui souffrent en raison de la violation de leur droit ou d’un amour détruit ; des personnes qui se trouvent dans la nuit quant à la vérité, qui souffrent de l’absence de vérité et d’amour. Nous nous soucions du salut des hommes dans leur corps et dans leur âme. Et en tant que prêtres de Jésus Christ, nous le faisons avec zèle. Les personnes ne doivent jamais avoir la sensation que nous accomplissons consciencieusement notre horaire de travail, mais qu’avant et après nous n’appartenons qu’à nous-mêmes. Un prêtre n’appartient jamais à soi-même. Les personnes doivent percevoir notre zèle avec lequel nous offrons à l’Évangile de Jésus Christ un témoignage crédible. Prions le Seigneur de nous combler de la joie de son message, afin que nous puissions servir sa vérité et son amour avec un zèle joyeux. Amen.

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