Benoît XVI - Semaine Sainte 2011 © |
Je vous mets ci-dessous l'homélie prononcée par le Saint-Père Benoit XVI, au cours de la messe chrismale, et durant laquelle il s'est spécialement adressé à ceux qui tout comme lui, renouvelaient les promesses de leur ordination sacerdotale.
Chers frères et sœurs,
En cette messe nos pensées se tournent vers le moment où l’Évêque,
par l’imposition des mains et la prière, nous a fait entrer dans le sacerdoce
de Jésus Christ, de façon à ce que nous soyons « consacrés dans la vérité » (Jn
17, 19), comme Jésus, dans sa Prière sacerdotale, a demandé pour nous à son
Père. Il est lui-même la Vérité. Il nous a consacrés, c’est-à-dire remis pour
toujours à Dieu, afin qu’à partir de Dieu et en vue de lui, nous puissions
servir les hommes. Mais sommes-nous aussi consacrés dans la réalité de notre
vie ? Sommes-nous des hommes qui agissent à partir de Dieu et en communion avec
Jésus Christ ? Le Seigneur se tient devant nous avec cette question, et nous
nous tenons devant lui. « Voulez-vous vivre toujours plus unis au Seigneur
Jésus et chercher à lui ressembler, en renonçant à vous-mêmes, en étant fidèles
aux engagements attachés à la charge ministérielle que vous avez reçue avec
joie au jour de votre Ordination sacerdotale ? » C’est ainsi qu’après cette
homélie, j’interrogerai individuellement chacun de vous et aussi moi-même. Ceci
exprime surtout deux choses : ce qui est demandé, c’est un lien intérieur, ou
mieux, une configuration au Christ, et en ceci nécessairement un dépassement de
nous-mêmes, un renoncement à ce qui est seulement nôtre, à la si vantée
autoréalisation. Il est demandé que nous, que moi, je ne revendique pas ma vie
pour moi-même, mais que je la mette à la disposition d’un autre – du Christ.
Que je ne demande pas : « Qu’est-ce que j’en retire pour moi ? »,
mais au contraire : « Qu’est-ce moi que je peux donner pour lui et ainsi
pour les autres ? » Ou encore plus concrètement : « Comment doit se
réaliser cette configuration au Christ - qui ne domine pas, mais sert, ne prend
pas, mais donne – comment doit-elle se réaliser dans la situation souvent
dramatique de l'Église d’aujourd’hui ? » Récemment, un groupe de prêtres
d’un pays européen a publié un appel à la désobéissance, apportant en même
temps aussi des exemples concrets de la façon d’exprimer cette désobéissance,
qui devrait aller jusqu’à ignorer des décisions définitives du Magistère – par
exemple sur la question de l’Ordination des femmes, à propos de laquelle le
bienheureux Pape Jean-Paul II a déclaré de manière irrévocable que l’Église, à
cet égard, n’a reçu aucune autorisation de la part du Seigneur. La
désobéissance est-elle un chemin de renouveau de l’Église ? Nous voulons croire
les auteurs de cet appel, quand ils affirment être mus par la sollicitude pour
l’Église, être convaincus que l’on doit affronter la lenteur des Institutions
par des moyens drastiques pour ouvrir des chemins nouveaux – pour ramener
l’Église à la hauteur de l’aujourd’hui. Mais la désobéissance est-elle vraiment
un chemin ? Peut-on percevoir en cela quelque chose de la configuration au
Christ, qui est la condition nécessaire d’un vrai renouveau, ou non pas plutôt
seulement l’élan désespéré pour faire quelque chose, pour transformer l’Église
selon nos idées et nos désirs ?
Mais ne simplifions pas trop le problème. Le Christ n’a-t-il pas
corrigé les traditions humaines qui menaçaient d’étouffer la parole et la
volonté de Dieu ? Oui, il l’a fait, pour réveiller de nouveau l’obéissance à la
vraie volonté de Dieu, à sa parole toujours valable. La vraie obéissance lui
tenait justement à cœur, contre l’arbitraire de l’homme. Et n’oublions pas
qu’il était le Fils, avec l’autorité et la responsabilité singulières de
révéler l’authentique volonté de Dieu, pour ouvrir ainsi la route de la parole
de Dieu vers le monde des gentils. Et enfin, il a concrétisé son envoi par son
obéissance et son humilité jusqu’à la Croix, rendant ainsi sa mission crédible.
Non pas ma volonté mais la tienne : c’est cette parole qui révèle le Fils, son
humilité et en même temps sa divinité, et qui nous indique la route.
Laissons-nous interroger encore une fois : est-ce que par de
telles considérations on en défend pas, en fait, l’immobilisme, le raidissement
de la tradition ? Non. Celui qui regarde l’histoire de l’époque postconciliaire,
peut reconnaître la dynamique du vrai renouveau, qui a souvent pris des formes
inattendues dans des mouvements pleins de vie et qui rend presque tangibles la
vivacité inépuisable de la sainte Église, la présence et l’action efficace du
Saint Esprit. Et si nous regardons les personnes, dont a jailli et jaillit la
fraîcheur de ces fleuves de vie, nous voyons aussi que pour une nouvelle
fécondité on a besoin d’être comblés de la joie de la foi, de la radicalité de
l’obéissance, de la dynamique de l’espérance et de la force de l’amour.
Chers amis, il reste clair que la configuration au Christ est la
condition nécessaire et la base de tout renouveau. Mais la figure du Christ
nous apparaît peut-être parfois trop élevée et trop grande, pour pouvoir oser
se mesurer à Lui. Le Seigneur le sait. C’est pourquoi, il a pourvu à des «
traductions » dans des ordres de grandeur plus accessibles et plus proches de
nous. Pour cette raison justement, Paul sans timidité a dit à ses communautés :
« Soyez mes imitateurs, mais moi j’appartiens au Christ ». Il était
pour ses fidèles une « traduction » du style de vie du Christ, qu’ils pouvaient
voir et à laquelle ils pouvaient adhérer. A partir de Paul, tout au long de
l’histoire, il y a eu continuellement de telles « traductions » du chemin de
Jésus dans des figures historiques vivantes. Nous, les prêtres, nous pouvons
penser à une grande foule de saints prêtres qui nous précèdent pour nous
indiquer la route, à partir de Polycarpe de Smyrne et d’Ignace d’Antioche, en
passant par des grands pasteurs comme Ambroise, Augustin et Grégoire le Grand,
jusqu’à Ignace de Loyola, Charles Borromée, Jean-Marie Vianney, jusqu’aux
prêtres martyrs du vingtième siècle et enfin jusqu’au Pape Jean-Paul II qui,
dans l’action et dans la souffrance, a été pour nous un exemple de
configuration au Christ, comme « don et mystère ». Les saints nous indiquent
comment fonctionne le renouveau et comment nous pouvons nous mettre à son
service. Et ils nous font aussi comprendre que Dieu ne regarde pas aux grands
nombres et aux succès extérieurs, mais
remporte ses victoires dans l’humble signe du grain de
moutarde.
Chers amis, je voudrais encore m’arrêter brièvement à deux
mots-clés du renouvellement des promesses sacerdotales, qui devraient nous
pousser à réfléchir en ce moment de la vie de l'Église et de notre vie
personnelle. Il y a avant tout le souvenir du fait que nous sommes – comme Paul
l’exprime – « des intendants des mystères de Dieu » (1 Co 4, 1), et que nous
incombe le « ministère de l’enseignement » (munus docendi), qui est
une partie de cette intendance des mystères de Dieu, où il nous montre son
visage et son cœur, pour se donner lui-même à nous. Au cours de la rencontre
des Cardinaux, à l’occasion du récent Consistoire, différents pasteurs ont
parlé, sur la base de leur expérience, d’un analphabétisme religieux qui se
répand dans notre société si intelligente. Les éléments fondamentaux de la foi,
que par le passé tout enfant savait, sont toujours moins connus. Mais pour
pouvoir vivre et aimer notre foi, pour pouvoir aimer Dieu et donc devenir
capables de l’écouter de façon juste, nous devons savoir ce que Dieu nous a
dit : notre raison et notre cœur doivent être touchés par sa parole. L’Année de la foi, le
souvenir de l’ouverture du Concile Vatican
II, il y a cinquante ans, doivent être pour nous une occasion d’annoncer le
message de la foi avec un zèle nouveau et une joie nouvelle. Naturellement,
nous le trouvons de manière fondamentale et essentielle dans la
Sainte Écriture, que nous ne lirons et méditerons jamais assez. Mais en cela
nous faisons tous l’expérience d’avoir besoin d’aide pour la transmettre avec
rectitude dans le présent, afin qu’elle touche vraiment notre cœur. Cette aide
nous la trouvons en premier lieu dans la parole de l’Église enseignante : les
textes du Concile Vatican II et le Catéchisme
de l’Église catholique sont les instruments essentiels qui nous
indiquent de manière authentique ce que l’Église croit à partir de la Parole de
Dieu. Et naturellement aussi tout le trésor des documents que le Pape Jean-Paul
II nous a donné et qui est encore loin d’avoir été exploité jusqu’au bout en
fait partie.
Toute notre annonce doit se mesurer sur la parole de Jésus Christ
: « Mon enseignement n’est pas mien » (Jn 7, 16). Nous n’annonçons pas des théories et
des opinions privées, mais la foi de l’Église dont nous sommes des serviteurs.
Mais ceci naturellement ne doit pas signifier que je ne soutienne pas cette
doctrine de tout mon être et que je ne sois pas ancré solidement en elle. Dans
ce contexte, il me vient toujours à l’esprit la parole de saint Augustin :
« Qu’est ce qui est aussi mien que moi-même ? Qu’est-ce qui est aussi peu
mien que moi-même ? » Je ne m’appartiens pas à moi-même et je deviens
moi-même justement par le fait que je vais au-delà de moi-même et que par le
dépassement de moi-même je réussis à m’insérer dans le Christ et dans son Corps
qui est l’Église. Si nous ne nous annonçons pas nous-mêmes et si intérieurement
nous sommes devenus tout un avec Celui qui nous a appelés comme ses messagers
de façon à être modelés par la foi et à la vivre, alors notre prédication sera
crédible. Je ne fais pas de publicité pour moi-même, mais je me donne moi-même.
Le Curé d’Ars n’était pas un savant, un intellectuel, nous le savons. Mais par
son annonce il a touché les cœurs des gens, parce que lui- même avait été
touché au cœur.
Le dernier mot-clé que je voudrais encore évoquer s’appelle le
« zèle pour les âmes » (animarum
zelus). C’est une expression démodée qui aujourd’hui n’est presque
plus utilisée. Dans certains milieux, le mot âme est même considéré comme un
mot interdit, parce que – dit-on – il exprimerait un dualisme entre corps et
âme, divisant l’homme à tort. L’homme est certainement une unité, destiné avec
son corps et son âme à l’éternité. Mais ceci ne peut signifier que nous n’avons
plus une âme, un principe constitutif qui garantit l’unité de l’homme dans sa
vie et au-delà de sa mort terrestre. Et naturellement en tant que prêtres nous
nous soucions de l’homme tout entier, justement aussi de ses nécessités
physiques – des affamés, des malades, des sans-abri. Toutefois, nous ne nous
soucions pas seulement du corps, mais aussi des besoins de l’âme de l’homme :
des personnes qui souffrent en raison de la violation de leur droit ou d’un amour
détruit ; des personnes qui se trouvent dans la nuit quant à la vérité, qui
souffrent de l’absence de vérité et d’amour. Nous nous soucions du salut des
hommes dans leur corps et dans leur âme. Et en tant que prêtres de Jésus
Christ, nous le faisons avec zèle. Les personnes ne doivent jamais avoir la
sensation que nous accomplissons consciencieusement notre horaire de travail,
mais qu’avant et après nous n’appartenons qu’à nous-mêmes. Un prêtre
n’appartient jamais à soi-même. Les personnes doivent percevoir notre zèle avec
lequel nous offrons à l’Évangile de Jésus Christ un témoignage crédible. Prions
le Seigneur de nous combler de la joie de son message, afin que nous puissions
servir sa vérité et son amour avec un zèle joyeux. Amen.
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