vendredi 29 août 2014

Augustin, l'orpailleur africain


En Occident, les routes de l’esprit mènent à Hippone (Benoît XVI, Audience, 9 janvier 2008), la patrie africaine d’Augustin. La piété de Monique attacha au Christ le cœur du fils, pour qu’enfin il se repose en Dieu. Ambitions, errances et faiblesses de la chair se diluèrent dans les larmes triomphantes d’une mère. Si la passion du bonheur anima ses pas, la grâce fit de lui un saint.
« Il est toujours resté le grand ébloui par la grâce » (Jean-Paul II, Lettre, 28 août 1986). Une comptine d’enfants à Milan, dans un après-midi estival (le 15 août 386), l’incita à consulter l’Écriture. La vigueur de Paul remua l’indécis. Saint Ambroise, après avoir nourri par sa prédication l’âme du catéchumène, versa l’eau salutaire. « Tu nous avais transpercé le cœur par les flèches de ton amour » (Confessions 9, 2, 3).
Modèle d’humilité, il connaîtra d’autres moments de conversion : l’acceptation du ministère sacerdotal et épiscopal (en 391 et 395), ainsi que la purification finale, quand il récitera sur son lit de mort (en 430) les psaumes de pénitence. « Je t'ai aimée tard, beauté si ancienne, beauté si nouvelle, je t'ai aimée tard ! » (Confessions 10, 27, 38), insistait-il, mais il a été large à rendre l’amour. Son corps repose dans une arche marmoréenne (1362), ornée avec plus de cent statues, à la basilique Saint-Pierre-au-ciel-d’or de Pavie.
Sa passion pour la Vérité soutient des décennies épuisantes. Pasteur dévoué, Augustin reste attentif aux besoins de la grande Église : il affirme la primauté de Rome, œuvre pour l’unité, participe aux controverses. Ayant pu se consacrer davantage à la recherche, il préfère prêcher à ses ouailles ; malgré tout, il écrit plusieurs œuvres majeures et originales, comme La Cité de Dieu. Homme providentiel en temps de forte crise (Pie XI, encyclique Ad salutem, 1930), le saint docteur reste une source attrayante, y compris pour les non croyants. Il inspire la culture occidentale, les sciences sacrées et des ordres religieux ; nourrit des actes du magistère, y compris les encycliques de Benoît XVI.
Rempli de respect et d’audace, il approche le mystère divin. Le cœur d’Augustin, brûlant pour Dieu, désire le contempler pour mieux l’aimer et le faire connaître. Maître d’intériorité, il explore l’intime du Dieu vivant qui s’introduit au tréfonds la vie humaine. Comme un chercheur avide d’or, le docteur recueille des éclats de lumière : il sillonne la Bible, s’imprègne de Tradition, aiguise l’intelligence, glane chez les païens.
Devant la Trinité éblouissante, Augustin cherche des analogies qui éclairent le clair-obscur de la foi. « Ce Dieu unique est trinitaire, un cercle d'amour. Il cherche à comprendre le mystère insondable : précisément l'être trinitaire, en trois Personnes, est la plus réelle et la plus profonde unité de l'unique Dieu » (Benoît XVI, Audience, 20 février 2008). Affirmant l’unité de la substance divine éternelle, il précise la distinction des personnes, en raison des relations réciproques et immuables. L’amour n’est pas engendré, mais « il unit le géniteur et l’engendré » (La Trinité 9, 12, 18), dans un embrassement embrasé. L’identité de chaque personne divine est dans sa relation avec les autres : une ouverture ineffable, qui éclaire aussi les liens des fidèles dans l’Église du Christ.
Une légende, issue de la prédication populaire du XIIIe siècle, a été attribuée par la suite à l’évêque d’Hippone et représentée les artistes, comme Pierre-Paul Rubens (église Saint-Augustin, Prague, 1638). Méditant sur le mystère de la Trinité au bord de la plage, Augustin rencontre un enfant, affairé à porter de l‘eau dans une coquille, pour la verser dans un trou ouvert sur le sable ; à la question de l’évêque, l’enfant explique qu’il vide la mer dans le creux ; quand le pasteur ironise, le gamin réplique que cela serait plus aisé que de saisir le mystère divin. De fait, Augustin déclarait, à la fin de sa démarche : « J’ose confesser que je n’ai rien dit qui soit digne de cette souveraine et ineffable Trinité » (La Trinité 15, 27, 50).
Benoît XVI confiait : « Je le perçois comme un ami, un contemporain qui me parle avec sa foi fraîche et actuelle » (Audience, 16 janvier 2008). Chez lui on perçoit l'actualité de la foi qui vient du Christ. « Sur les traces d'Augustin, soyez vous aussi une Église qui annonce avec franchise la joyeuse nouvelle du Christ, sa proposition de vie, son message de réconciliation et de pardon » (Homélie à Pavie, 22 avril 2007).

Par l'abbé Fernandez

Aimer à Auschwitz


En juillet 1998, la reine d'Angleterre inaugurait le monument à la mémoire de dix chrétiens, morts au XXe siècle pour leurs convictions. La souveraine était entourée, entre autres personnalités, du cardinal de Londres et de l’archevêque de Canterbury. Les dix statues, en calcaire de Charente, ornent le portail ouest de l’abbaye de Westminster. La première à gauche, œuvre du jeune sculpteur Andrew Tanser, figure saint Maximilien Kolbe, en bure de franciscain, montrant l’Évangile. « Personne n’a un si grand amour que celui qui donne la vie pour ses amis » (Jean 15, 13).
Dix ans auparavant, à la commande de l’Opéra de Paris, Dominique Probst composait, sur le livret d’Eugène Ionesco, le drame lyrique Maximilien Kolbe. Créé à Rimini, l’opéra fut joué ensuite dans plusieurs villes européennes, avec un franc succès, jusqu’à obtenir des prix académiques. Dans un langage musical qui alterne tonalité et atonalité, l’œuvre parcourt les derniers jours du martyr, avec ses neuf compagnons de captivité, dans le bunker de la faim. Le dramaturge, qui en avait souligné l’héroïsme devant la cruauté aveugle, avouait qu’il était jaloux de « la seule existence qui mérite d’être vécue ».
Auschwitz, fin juillet 1941 : en représailles pour l’évasion d’un détenu, les autorités du camp choisissent dix prisonniers pour les faire mourir de faim et de soif. Parmi eux se trouve un jeune père de famille. Le Père Kolbe, âgé de 47 ans,  interné lui aussi, se porte volontaire pour le remplacer. L’officier allemand accepte l’échange.
Le 14 août, tombé inconscient par inanition après deux semaines de souffrance, le religieux est mis a mort d’une piqûre létale : pour les nazis, c’est de l’euthanasie ; pour les croyants, le martyre. Béatifié comme confesseur de la foi en 1971, Paul VI le qualifiera de « martyr de l’amour » ; il sera canonisé comme martyr en 1982. Le prisonnier épargné était présent à la cérémonie.
« Nous aussi nous devons donner la vie pour les frères » (1 Jean 3, 16). Dans le geste du franciscain polonais, la loi aimable du Christ brille au milieu des horreurs d’une guerre : « la désobéissance contre Dieu, le Créateur de la vie qui a dit ‘Tu ne tueras pas’, donna lieu dans cet endroit à une hécatombe immense d’innocents » (Jean-Paul II, Homélie pour la canonisation, 10 octobre 1982). Parmi les 4 millions d’exterminés dans ce camp, Kolbe protégea le droit à la vie d’un seul innocent ; chaque personne mérite le don extrême. Sa vie sainte « est le fruit d’une mort à la ressemblance de la mort du Christ » (ibid.). Le sacrifice de la vie est l’affirmation catégorique de l’amour.
Prêtre depuis 1918, ayant exercé son ministère en Pologne, à Rome et — pendant 6 ans — au Japon, avec des fruits étonnants, Kolbe suscita de nombreuses œuvres apostoliques. Durant l’occupation allemande, il accueillit dans son couvent les blessés et les persécutés, chrétiens ou juifs, pour leur offrir un appui matériel et spirituel. Arrêté en février 1941, soumis à la torture, il fut conduit à Auschwitz trois mois plus tard. Sa présence dans les baraquements fut celle d’un prêtre dévoue pour le bien de ses frères ; d’un témoin évangélique de la foi inébranlable ; d’un homme généreux qui supporte l’injustice, en répandant autour de lui la paix et le pardon. Il fut vainqueur avec les armes de l’amour.
Saint Maximilien-Marie prépara son holocauste en s’attachant au Christ depuis ses premières années. « À cette époque appartient le songe mystérieux des deux couronnes : l’une blanche, l’autre rouge ; notre saint ne fit pas le choix d’une d’entres, mais accepta les deux » (Jean-Paul II, ibidem) : l’amour pur et le martyre. Il confia à la Vierge Immaculée ses désirs de service et de renoncement à soi-même. Peut-être l’un des secrets de sa persévérance était son attachement ardent à Marie.
Sa mort offre à notre époque, menacée du péché et de la mort, un témoignage fiable. Les martyrs attestent sans ambiguïté « la vérité de l'existence. On découvre en eux l'évidence d'un amour qui n'a pas besoin de longues argumentations pour être convaincant » (Jean-Paul II, encyclique Foi et raison §32). Le martyr nous dit ce que le cœur ressent, ce que nous voudrions réaliser avec courage.

Par l'abbé Fernandez

vendredi 22 août 2014

La Reine de l'Univers



La royauté du Christ, loin d’être oisive, rachète, sanctifie et amène à la gloire. Près de lui, Marie écoute et agit : appelée à engendrer l’héritier éternel de David (Luc 1, 32-33), elle présente aux Mages « le Roi nouveau-né » (Matthieu 2, 2) ; après la gloire messianique à Cana, elle veille sur le Roi transpercé (Jean 19, 25). Le manteau royal de Marie a été tissé avec les fibres de sa fidélité.

« Réjouis-toi, Reine du monde, Souveraine de tes fidèles » (Hymne Acathiste). La glorieuse Mère de Dieu, associé à la résurrection du Seigneur, participe à son Royaume d’amour. Depuis Éphrem et Pierre Chrysologue, les docteurs ont approfondi cette conviction sûre : « elle est devenue reine de toutes les créatures » (saint Jean de Damas, La foi orthodoxe 4, 15). « La reine du roi céleste » (sainte Claire d’Assise, Lettres) est au sommet de l’Église, comme « Reine et Mère de miséricorde ». La liturgie chante ce titre.

La foi a été traduite en image par l’art ancien dès le VIe siècle : Notre Dame dans un trône (Ravenne) ou recevant la couronne (Croatie), en signe de son autorité pour transmettre la vie. Dans l’abside de Sainte-Marie Majeure, la vaste mosaïque de Jacques Torriti (Rome, 1295) montre le geste délicat du Seigneur déposant la couronne sur sa Mère. Plus tard, la Trinité offrira l’insigne. À partir de l’an 1600, de nombreuses images ont bénéficié du rite du couronnement. Comme aboutissement d’un fort courant au XXe siècle, Pie XII (encyclique Fulgens corona, 11 octobre 1954) en institua la mémoire ; l’Église proclame solennellement la « royauté universelle » (Lumen Gentium §59) de la Vierge, fêtée dans l’octave de l’Assomption.

La dévotion populaire l’acclame à loisir. À l’origine, les litanies de Lorette énonçaient huit titres ; les papes, depuis le XIXe siècle, en ont rajouté d’autres, après les définitions dogmatiques (Pie IX, Pie XII) et dans l’urgence pour la prière du rosaire (Léon XIII), la paix (Benoît XV) ou le soutien de la famille (Jean-Paul II).
Marie règne par la vitalité d’une âme Conçue sans péché, à l’unisson du Cœur du Bon Pasteur qui dispense la grâce au monde. La Reine de l’Assomption stimule l’espérance de gloire, en nous rapprochant des sources du salut. Comme Reine du rosaire, Marie gouverne son peuple qui, par cette prière, glorifie la Trinité et édifie l’Église. La Reine de la paix a été invoquée dès la Grande Guerre, en pleine confiance dans une heure d’affliction extrême (Benoît XV, Lettre, 5 mai 1917). Reine de la famille, communauté porteuse d’amour humain et divin entre parents et enfants, Notre Dame rassure : « L'avenir de l'humanité passe à travers la famille » (Jean-Paul II, Exhortation sur la Famille, 1980 §86).

La Reine des anges les éclaire sur l’Incarnation et les pousse à protéger les membres du Christ contre l’enfer (Apocalypse 12, 7). Marie règne sur les patriarches qui l’ont attendue : la Nouvelle Ève, plus croyante et généreuse qu’Abraham (Catéchisme §144), trône au-dessus de chaque maillon de la lignée messianique, « issue de la souche de Jessé » (Isaïe 11, 1). Remplie d’esprit prophétique à la Visitation (Origène, Homélies sur Luc §8), Marie devient Reine des prophètes et des prophétesses de l’histoire du salut.

Dans la Nouvelle Alliance, elle est aussi Reine des apôtres de son Fils et messagère fidèle pour la première génération chrétienne. « Plus que martyre » (saint Bernard, Sermon pour l’octave de l’Assomption §8), la Reine des martyrs conforte ceux qui imitent l’holocauste de Jésus, « source et modèle de tout martyre » (Liturgie des Heures). « Une nuée de témoins » (Hébreux 12, 1), parmi lesquels excelle la Reine bienheureuse : les confesseurs, qui ont enduré des difficultés pour garder le trésor de la foi ; les vierges, laïques ou consacrées, qui se sont montrés dignes de l’Époux divin (Psaume 45,15) ; tous les saints et saintes, y compris les plus ignorés, qui ont mûri au long de l’histoire.

Même les enfants pécheurs osent contribuer à sa royauté de miséricorde. « Et moi, la Mère de Dieu, qui est aussi ma Mère, je la couronne de mes misères purifiées, parce que je ne possède ni pierres précieuses ni vertus » (saint Josémaria, Forge §285).  
Par l'Abbe Fernandez

mercredi 6 août 2014

Saint Dominique : étudier par amour


« Jésus-Christ regarda ses pieds et ses mains, percés pour nous. De ce regard d’amour naquirent deux hommes : saint Dominique et saint François d’Assise » (H. Lacordaire, Vie de saint Dominique, 1872, chap. 1). Ces deux fondateurs, inspirés par le même Esprit à la même époque, se sont mis au service de l’autorité légitime. Sous l’impulsion des papes, les ordres mendiants transformèrent la société urbaine, multiplièrent l’élan missionnaire, renouvelèrent l’Église.    
Dominique Guzman, le généreux chanoine castillan, rendit honneur à son Maître. Son prénom signifie « appartenant au Seigneur ». « Dominique, l’athlète du Seigneur, a confirmé son nom par ses œuvres » (Liturgie des Heures, Hymne pour la  mémoire, 8 août).
« Il parlait toujours avec Dieu et de Dieu. Dans la vie des saints, l'amour pour le Seigneur et pour le prochain, la recherche de la gloire de Dieu et du salut des âmes vont toujours de pair » (Benoît XVI, Audience, 3 février 2010). L’esprit de prière libère des attaches mondaines ; prépare à l’écoute et à la sagesse ; donne courage pour chercher des réponses éclairantes. L’amour de la vérité enlace foi et raison. La fatigue de l’étude rigoureuse devient tremplin de l’amour, qui communique la vérité et ravit les esprits.
Après la fondation des Frères Prêcheurs à Toulouse (1215), saint Dominique quitta ce monde en 1221 à Bologne. Canonisé en 1234, les aumônes bâtirent bientôt, dans cette ville, une basilique en son honneur (1240). Sur l’autel d’une chapelle latérale, une Arche garde le corps du fondateur : les frères du couvent y implorent chaque soir l’intercession du père. Dans l’abside, une fresque, chef d’œuvre de Guido Reni, montre le saint en gloire. Sept statues, symbolisant les vertus théologales et cardinales, flanquent la chapelle.
L’Arche de Saint Dominique a été sculptée à partir de 1267, comme nouveau sarcophage ; d’artistes prestigieux, tels que Michel-Ange, ont enrichi le mausolée, devenu un traité de théologie en marbre : la création, la rédemption, l’Église ; au sommet, Dieu le Père embrasse amoureux le monde. Alfonso Lombardi (1532) ajouta des reliefs à la prédelle. Parmi eux, l’entrée du saint au ciel : il donne forme à la vision d’un dominicain, qui aperçut son fondateur assis sur une échelle, que Jésus et Marie traînent vers le haut.
Dominique mobilise ses confrères. Ils essaiment partout, annonçant la Parole et cultivant les sciences sacrées. Certains obtiennent bientôt la palme du martyre ; d’autres sont élus papes. La dévotion mariale doit aux dominicains la diffusion du rosaire et la tripartition des mystères, avec la prédication d’Alain de la Roche en Bretagne et la confrérie de l’université de Cologne qui, en 1481, rassemble cent mille membres. Le Nouveau Monde aura sa première université (1538) à la cité de Saint-Domingue, dans l’île homonyme ; l’Asie verra naître l’université Saint-Thomas de Manille (1611) ; Jérusalem accueillera l’École Biblique, fondée par la loyauté sacrifiée du Père Lagrange (1890).
La statue monumentale de saint Dominique sera la première à orner les murs, à l’intérieur de Saint-Pierre du Vatican, en 1706. « Ce grand saint nous rappelle que dans le cœur de l'Église doit toujours brûler un feu missionnaire : en effet, le Christ est le bien le plus précieux que les hommes et les femmes de chaque époque et de chaque lieu ont le droit de connaître et d'aimer ! Par son intercession, nous demandons à Dieu d'enrichir toujours l'Église d'authentiques prédicateurs de l'Évangile » (Benoît XVI, ibidem).

Par l'abbé Fernandez