"Le Seigneur a nourri son peuple de la fleur du froment "
Ces mots, tirés du Psaume 80, servent d’antienne d’ouverture pour la messe de la Fête-Dieu, le Saint-Sacrement du Corps et du Sang du Christ, que l’Église s’apprête à fêter dans la joie et la gratitude. C’est la seconde fois en quelques mois qu’Elle va le faire.La première fois, c’était le Jeudi Saint, pour commémorer l’institution de l’Eucharistie et du sacerdoce chrétien, dans le climat très intime du Cénacle. La Dernière Cène, au cours de laquelle le Christ a épanché son cœur devant ses apôtres dans une confidence longue et profonde et dans la grande prière sacerdotale qu’il a adressée à son Père. Cependant, une ombre assombrissait le tableau : l’imminence de sa Passion, ses adieux aux apôtres, l’action du Malin et la trahison de Judas.
Or, l’Église souhaite laisser sa joie exploser devant ce mystère
unique, mysterium fidei, le mystère
de la foi. D’où l’institution au Moyen Âge de cette seconde fête, après la
Pentecôte et la Très Sainte Trinité, dans des circonstances historiques bien
connues et avec des textes composés par saint Thomas d’Aquin, alliant la rigueur
théologique à la plus tendre des piétés. Pange,
lingua, gloriosi Corporis mysterium : “ Chante, ô ma langue ”. Chantons !
Chantons à pleins poumons, car l’esprit humain est capable d’apprécier et de
proclamer les magnalia Dei.
D’apprécier d’abord, par une méditation calme et posée doublée d’une humble
demande des lumières divines. Ensuite, ébloui devant tant de grandeur et de
beauté, de chanter, de proclamer et de dire tout haut sa foi.
« Je suis le pain de
vie ; qui vient à moi n’aura jamais faim » (Jn 6,35), a dit Jésus
à la synagogue de Capharnaüm, dans un discours connu comme « discours du
pain de vie ». Comme il est
important pour nous, destinataires de l’Eucharistie, que nous essayions de
pénétrer le plus possible dans la pensée du Seigneur. Eh bien, c’est l’image de
la nourriture qu’il a choisie pour évoquer le mystère de sa présence réelle sous
les espèces eucharistiques. Ce que la nourriture est à la santé corporelle, le
Pain de vie doit l’être à la santé de l’âme. Car l’Eucharistie est, comme les
autres sacrements, un signe sensible et
efficace de la grâce.
Nous pouvons, donc, nous demander :
Pourquoi a-t-il choisi le pain comme matière ?
À vrai dire, lui seul peut y répondre. Pour notre part, nous
savons qu’il s’agit d’une matière facile à trouver, très commune, et qu’elle possède
une grande valeur nourrissante. Quel est, par conséquent, le sens de son
choix ? Nous pouvons signaler au moins deux significations :
+ Eucharistie n’est pas un
mets exceptionnel, par trop délicat, réservé uniquement à la table des grands
de ce monde. Elle est plutôt le pain quotidien, le pain populaire, en tout
point irremplaçable. Ce qui signifie que tout le monde est invité à en manger,
puisqu’elle est la nourriture de base pour tous. C’est pourquoi l’Église invite
les fidèles à la communion fréquente, voire quotidienne, surtout depuis le
pontificat de saint Pie X. Seule condition, avoir les dispositions requises :
- être en état de grâce (pas de péché mortel sur la conscience non
confessé à un prêtre)
- le jeûne eucharistique (une heure à compter du
dernier repas) et,
- la dévotion personnelle.
Voilà une belle résolution pour
nous, tâcher d’améliorer nos dispositions afin de tirer un plus grand profit de
chaque communion.
+ Puisque l’Eucharistie est
notre pain quotidien, ce n’est pas la saveur ni le goût, c’est-à-dire les côtés
sensibles et émotifs, que notre cœur doit chercher dans la communion. C’est
plutôt la force et la vigueur spirituelle qu’elle apporte, pour aborder ainsi dans
les meilleures conditions les combats de chaque jour et arriver un jour à la patrie
du ciel. Ce n’est pas non plus la faim qui nous pousse à communier, c’est-à-dire
le désir ou l’envie. L’inappétence est souvent le signe le plus évident d’une
grande faiblesse corporelle et les proches de celui qui en est atteint lui
conseillent vivement de se forcer à manger. Non, c’est la foi et l’amour qui doivent
nous pousser à chaque fois vers l’autel. Cela dit, il est utile de provoquer en
quelque sorte la faim de l’Eucharistie, de tomber dans un état de dépendance.
Dernière idée et dernier aspect du signe : la solitude de
Jésus. Juste après la multiplication des pains et peu avant son discours de
Capharnaüm, il est parti dans la montagne tout seul (cf. Jn 6, 15). Cette
solitude a certainement un bon côté, car elle permet le tête à tête, mieux encore
le cœur à cœur, avec lui. Pour entrer dans le mystère eucharistique, un minimum
d’intimité et de silence sont sans doute nécessaires. Mais cette solitude
préfigure aussi ce qui arrive vingt siècles plus tard : nous le laissons
tout seul dans nos églises.
Solitude dans l’hostie, caché sous les espèces du
pain, au point que nous pouvons le recevoir trop machinalement. Solitude dans
le tabernacle, avec un début de désertification eucharistique qui devrait nous
désoler, liée au nombre insuffisant d’ordinations sacerdotales.
Prions la Vierge Marie, la Femme eucharistique comme le bienheureux
Jean Paul II l’a appelée, qui a formé ce Corps et ce Sang dans ses entrailles
très pures. Qu’elle fasse grandir un nous une vraie faim et une vraie soif de
le recevoir. Qu’elle nous aide à trouver la meilleure organisation personnelle
pour donner à notre vie une dimension plus eucharistique.
Abbé Alphonse Vidal
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire