Lettre du Cardinal Bergoglio, archevêque de Buenos Aires, en ce Mercredi des Cendres, 13 mars 2013.
Deux jours après l’annonce du retrait de Benoit XVI.
Le Pape François |
Aux prêtres, consacrés et laïcs de l'archidiocèse.
et non pas vos vêtements,
et revenez au Seigneur votre Dieu,
car il est tendre et miséricordieux,
lent à la colère et plein d’amour,
renonçant
au châtiment. »
Peu à peu nous prenons l'habitude d'entendre et de voir, au travers des médias, des crimes et des faits divers dramatiques de notre société contemporaine, présentée presque avec une sorte de joie perverse et crue, et nous nous habituons aussi à les vivre et les sentir proches et parfois même dans notre propre chair. Le drame est dans la rue, dans le quartier, dans notre maison et, pourquoi pas, dans nos cœurs. Nous vivons avec la violence qui tue, qui détruit des familles, qui attise les guerres et les conflits dans de nombreux pays du monde. Nous vivons avec l'envie, la haine, la calomnie, la mondanité en nous. La souffrance des innocents et des pacifiques continue à nous frapper, le mépris pour les droits des individus et des peuples les plus fragiles ne nous sont pas si éloignés que cela ; le règne de l'argent avec ses effets démoniaques comme la drogue, la corruption, la traite des êtres humains - y compris des enfants – joint à la misère matérielle et morale sont monnaie courante. La perte du travail digne, l’émigration douloureuse et le manque d'avenir également s’ajoutent à cette symphonie. Nos erreurs et péchés en tant qu’Eglise ne sont pas absents non plus de cette situation. Les égoïsmes les plus personnels, et non pour autant des moindres, le manque de valeurs éthiques dans une société qui se propage dans les familles, dans les quartiers, villes et villages, nous montrent nos limites, nos faiblesses et notre incapacité à transformer cette liste innombrable de réalités destructrices.
Le piège de l’impuissance nous conduit à penser :
est-il judicieux d'essayer de changer tout cela ? Pouvons-nous faire quelque
chose face à cette situation ? Vaut-il la peine d'essayer, si le monde continue sa
danse carnavalesque, déguisant tout pendant un certain temps ? Cependant, quand le masque
tombe, la vérité apparait, et bien que pour beaucoup cela semble anachronique
de le dire, le péché réapparait, blessant notre chair avec toute sa force
destructrice et révolutionnant les destinées du monde et de l'histoire.
Le Carême se présente à nous comme un cri de vérité
et d'espérance certaine qui vient vers nous et nous réponds, que oui, qu’il est
possible de ne pas se maquiller ni de montrer des sourires de façade comme si
rien n’était. Oui,
il est possible que tout soit nouveau et différent, parce que Dieu est toujours
« généreux en bonté et miséricorde, toujours prêt à pardonner » et Il nous
encourage à recommencer encore et encore. Aujourd'hui, à nouveau, nous
sommes invités à emprunter un chemin pascal vers la Vie, chemin qui inclut la
croix et le renoncement; il sera inconfortable mais fertile. Nous sommes invités à
reconnaître que quelque chose ne va pas bien en nous-mêmes, dans la société ou
dans l'Église, à changer, et prendre le virage de la conversion.
Aujourd’hui, les mots du prophète Joël sont forts
et nous mettent au défi: déchirez vos cœurs et non les vêtements :
convertissez-vous au Seigneur, votre Dieu. C’est une invitation pour
chacun, et personne n’en est exclu.
Déchirez vos cœurs et non les vêtements couvrant une pénitence artificielle sans garanties d'avenir.
Déchirez vos cœurs et non les vêtements d’un jeûne
formel et d’une satisfaction du devoir accompli.
Déchirez vos cœurs et non les vêtements d’une oraison superficielle
et égoïste n’atteignant pas les profondeurs de notre vie, pour pouvoir être touché par Dieu.
Déchirez vos cœurs pour dire, avec le Psalmiste :
« Nous avons péché ». La blessure de l'âme, c'est
le péché : oh pauvre blessé, reconnais ton Médecin ! Montre-lui les plaies de tes
fautes ! Et comme
nous ne pouvons Lui cacher nos pensées secrètes, laisse-Le entendre le cri de ton
cœur. Provoque-Lui
la compassion par tes larmes, ton insistance, dérange-Le ! Qu’Il entende tes soupirs, que
ta douleur L’atteigne pour qu’enfin, Il puisse te dire: " Le Seigneur a pardonné
ton péché "(Saint Grégoire Le Grand). Ceci est la réalité de notre
condition humaine. C’est la vérité qui peut nous rapprocher d’une authentique réconciliation…
avec Dieu et les hommes. Il ne s’agit
pas de discréditer sa juste valeur sinon de pénétrer dans les profondeurs de
notre cœur et prendre en charge le mystère de la souffrance et de la douleur
qui nous lie depuis des siècles, des milliers d'années ... depuis toujours.
Déchirez vos cœurs pour que nous puissions, en
vérité, nous regarder à travers cette plaie.
Déchirez vos cœurs, ouvrez vos cœurs, car c'est
seulement dans un cœur blessé et ouvert que peut entrer l'amour miséricordieux
du Père qui nous aime et nous guérit.
Déchirez vos cœurs, dit le prophète, et Paul nous
demande presque à genoux " laissez-vous réconcilier avec Dieu."
Changer votre mode de
vie est le signe et le fruit de ce cœur brisé et réconcilié par un amour qui
nous dépasse. Telle est l'invitation, face à tant de blessures
douloureuses qui peuvent nous amener à la tentation de nous endurcir: Déchirez vos
cœurs pour expérimenter dans la prière
silencieuse et sereine, la douceur de la tendresse de Dieu.
Déchirez vos cœurs pour sentir l'écho de tant de vies blessées
et que l’indifférence ne nous laisse pas
inertes.
Déchirez vos cœurs pour pouvoir aimer avec un amour identique à celui reçu, consoler avec le même réconfort qui nous est donné, et partager ce que nous recevons.
Ce temps liturgique que l’Eglise entame aujourd'hui, n'est
pas seulement pour nous mais aussi pour la transformation de notre famille, de notre
communauté, de notre Eglise, de notre pays, du monde entier. Ce sont quarante jours pour
que nous nous convertissions à la sainteté même de Dieu ; nous nous
transformions en collaborateurs recevant la grâce et la possibilité de
reconstruire la vie humaine pour que tout homme puisse expérimenter le salut
que le Christ nous offre par sa mort et sa résurrection.
Avec la prière et la pénitence, comme signe de
notre foi en la force de Pâques qui transforme tout, nous devons aussi être
disposés à entamer, comme les années précédentes, notre « Geste pour un Carême
solidaire ». Eglise à Buenos Aires
en marche vers Pâques et qui croit que le Royaume de Dieu est possible, nous
avons besoin que, de nos cœurs déchirés par le désir de conversion et par l’amour,
grandissent la grâce et le geste efficace qui soulage la douleur de tant de
frères qui marchent à nos côtés. " Aucun acte de vertu peut être grand si nous ne
retirons aussi de celui-ci un bénéfice pour les autres ... Donc, même si vous passez la
journée à jeûner, même si vous dormez sur le sol dur, que vous mangiez des
cendres, et que vous soupiriez sans cesse, si vous ne faites du bien aux autres,
vous ne faites rien de grand." (Saint Jean Chrysostome)
Cette année de la foi que nous vivons est aussi
l'occasion que Dieu nous donne pour grandir et mûrir dans la rencontre avec le
Seigneur qui se rend visible sur le visage souffrant de tant de jeunes sans
avenir, sur les mains tremblantes des personnes âgées oubliées et sur les
genoux chancelants de tant de familles qui continuent à faire face aux difficultés
de la vie sans trouver quelqu’un qui puisse les aider.
Je vous souhaite un saint Carême, un Carême de pénitence
et fécond, et s'il vous plaît, je vous demande de prier pour moi.
Que Jésus vous bénisse et que
la Sainte Vierge vous protège.
Paternellement,
Card. Jorge Mario Bergoglio
sj
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