Remarques sur la théorie du genre.
On pourrait reprocher, en premier lieu, aux
théories du genre de mettre en question
l’unité de la personne humaine, corps et âme, en la divisant en un corps
purement matériel, un donné biologique et naturel, d’une part, et une liberté (ou
un caprice ?), liée à la société et à la culture, d’autre part. Le
genre est une construction culturelle et d’ailleurs, pour ses partisans, ne
semble pas se réduire à la dualité du féminin et du masculin, c’est un modèle pluriel que la liberté de
chacun pourrait librement choisir, indépendamment d’un donné biologique auquel
la liberté serait arbitrairement liée. Or, transformer le corps en un pur
objet n’est possible qu’en oubliant le corps propre auquel notre organisme et
nous-même sommes intimement liés. En outre, on pourrait observer ici que
« libérer » la personne (ou
plutôt l’individu) de son corps, c’est la soumettre
à un autre déterminisme social et culturel, d’autant mieux accepté qu’il
est inaperçu et inconscient, parce que les influences qui l’imposent jouent de
la puissance de la propagande, de la publicité, et des groupes de pression
aujourd’hui très influents dans le moyens de communication. On prétend libérer
l’individu d’un modèle en le soumettant de force à un autre modèle ! En
même temps, on présuppose une conception erronée de la nature.
En effet, la
dissociation du corps et de la liberté, de la nature et de la culture, se fonde
sur une conception de la nature, qui n’est jamais justifiée et qui est
particulièrement réductrice. La culture ne peut être opposée radicalement à la
nature que si cette dernière est un pur donné ; alors qu’en réalité la nature est un ensemble de potentialités,
que la culture a précisément pour fonction d’actualiser et de réaliser selon
une norme interne à la nature elle-même, même si cette norme admet des
déviations aux causes variées. La culture institue la nature, et la nature
donne sens à la culture. Sans cela, au nom de quoi pourrait-on condamner
l’esclavage et l’exploitation de l’homme par l’homme ? Dans le cas, qui
nous occupe, la sexualité repose sur l’altérité constitutive de l’homme et de
la femme, pour une raison essentielle qui est la procréation, sans laquelle
aucun partisan de la théorie du genre n’aurait vu le jour ! L’institution du mariage est liée à la
filiation. Il est vrai que les partisans de la procréation médicalement
assistée prétendent louer des ventres de mères porteuses ou acheter du sperme
pour des couples de femmes. Cette revendication est particulièrement
éclairante : elle montre que la logique marchande envahit tous les
domaines de la vie et que la fabrication d’un homme nouveau est en bonne voie.
Cependant, elle ne parvient pas à
éliminer le fait fondamental que l’enfant est toujours fils ou fille d’un père
et d’une mère, même si les constructions de la théorie du genre reculent autant
que possible la reconnaissance de ce fait. C. Lévi-Strauss, dans Tristes
Tropiques, cite le cas d’une communauté où la peur de l’enfantement réduit
tellement les naissances, que la communauté ne peut subsister qu’en volant les
enfants d’autres communautés plus généreuses, c’est-à-dire plus naturelles ou
plus humaines. Ce rapt n’est-il pas l’équivalent de ce que, de différentes
manières, le capitalisme avancé veut mettre en place ; on peut difficilement
en douter.
Comme nous
l’avons déjà dit, nous sommes ici renvoyés à la gnose. La gnose est un dualisme
paradoxal : tantôt il affirme un mépris du corps dans une ascèse
délirante, tantôt il incite à une recherche effrénée du plaisir, dans une
débauche répugnante, passant d’ailleurs de l’une à l’autre de ces attitudes
avec une très grande facilité ; ce mépris et cette exaltation du corps
nous le retrouvons aujourd’hui, où le « marché du sexe » semble
particulièrement florissant. Le mépris du corps, non seulement n’exclut pas la
jouissance, mais suggère la construction d’un corps artificiel, en un
monde où la chirurgie esthétique devient l’équivalent d’une spiritualité,
particulièrement lucrative ! Les féministes, qui sont à l’origine des
théories du genre, prétendaient libérer les femmes de l’oppression masculine, de la vie familiale censée être
oppressive, pour leur permettre de travailler et de s’épanouir dans leur
travail, socialement rémunéré. Cette intention révèle le sens ultime de toutes
ces idéologies : faire entrer dans le marché du travail, le plus grand
nombre possible d’instruments de production. On nous propose une libération
assez étonnante : les individus
sont livrés sans protection aucune au monde de l’économie, manipulé par les
marchands du temple, dans la mesure où la vie familiale sert de moins en moins
de frein à l’oppression de la collectivité.
Souhaitons que les partisans du genre ne parviennent pas à éliminer totalement
ce lieu ultime de la liberté. Il ne s’agit pas bien sûr de critiquer sans
nuances ou de rejeter l’économie, ni de nier l’existence de sociétés où l’homme
soumet arbitrairement les femmes à son autorité, mais de réfléchir sérieusement aux conditions d’une véritable liberté et d’un
véritable épanouissement de la personne humaine, en acceptant les dimensions
constitutives de sa nature.
Par Paul Olivier, professeur de philosophie.
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